Nath Chipilova fait corps avec sa peinture. Ce n’est pas une métaphore mais à prendre littéralement. On ne sait pas, quand on la voit travailler, où est la frontière entre elle et son tableau. Elle plonge dans la toile, pinceau à la main, comme un castor plongerait dans l’eau d’un torrent, sans se soucier des remous et des trous d’eau. C’est impressionnant !
Elle n’a aucune appréhension, elle n’y pense pas, aux mots, aux maux, elle pense en peinture c'est-à-dire qu’elle articule des sensations, des couleurs, des textures, des formes, avec une virtuosité qui est le fruit d’un long travail d’apprentissage, des beaux-arts à Moscou à l’école des arts décoratifs de Paris, et de sa vie de peintre.
Il ne faut pas s’y tromper en effet, c’est un grand savoir accumulé qui lui donne cette virtuosité que d’aucuns pourrait prendre pour de la facilité, et lui permet d’être toute entière « à l’œuvre ».
Quand elle travaille, rien ne semble pouvoir l’arrêter ni la dévier, elle fait preuve d’une force phénoménale, et cette force si visible, si étonnante, force le respect, en dehors et avant même tout résultat esthétique.
Ses tableaux sont souvent déclinés en série, faisant comme un journal intime, les toiles s’articulent les unes aux autres, comme les caractères d’une écriture vernaculaire, destinée aux initiés, ses frères voyants, mais sur des sujets du quotidien que chacun peut s’approprier. En s’articulant les unes aux autres les peintures s’amplifient, envahissent l’espace avec une force remarquable. Les tableaux ne s’additionnent pas, ils se multiplient littéralement pour constituer une méta-œuvre. Et c’est dans ce dépassement qu’on peut saisir toute la dimension du talent de Nath Chipilova, qui d’objets, de thèmes ordinaires, par leur ressassement et articulation dépasse le lieu commun du quotidien, de l’objet, de la vie de tous les jours, et nous ouvre, par sa signature, à la sublimation de l’ordinaire, qui est la vraie fin de la peinture.
Michel Suret-Canale